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Réforme pour la justice : impact sur les mesures de protection juridique des personnes vulnérables

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a pour objectif de simplifier la protection des personnes vulnérables.

Elle s’articule autour de 4 idées phares :

- favoriser le recours à l’habilitation familiale et organiser des passerelles entre les mesures de protection juridique ;

-alléger le contrôle du juge en supprimant l’autorisation préalable sur certains actes de gestion patrimoniale que le représentant pourra effectuer seul ;

-favoriser l’autonomie du majeur protégé dans l’exercice de ses droits personnels (mariage, Pacs, divorce, droit de vote) ;

-améliorer le contrôle des comptes de gestion établis par le mandataire en déléguant, si besoin, cette mission à un professionnel qualifié.

Favoriser le recours à l’habilitation familiale

Mesures de protection judiciaire et habilitation familiale - rappel :

À côté des mesures de protection judiciaire que sont la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle, il a été créé en 2016 la procédure d’habilitation familiale qui permet à un proche du majeur à protéger, de demander en justice à le représenter (habilitation générale) ou à passer un ou des actes en son nom (habilitation spéciale) afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts (c. civ. art. 494-1 à 494-12 ; Décret 2016-185 du 23 février 2016 ; voir FH 3628, § 14-10).

La personne habilitée peut alors réaliser les actes déterminés sans avoir à solliciter l’autorisation du juge des tutelles (hormis pour les actes de disposition à titre gratuit), et notamment ouvrir ou clôturer des comptes ou livrets bancaires au nom de la personne protégée (c. civ. art. 496-6 et 494-7).

Par la réécriture de l’article 428 du code civil, la loi précise que la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en place d’un mandat de protection future, par l’application des règles du droit commun de la représentation ou des régimes matrimoniaux (c. civ. art. 217, 219, 1426 et 1427) ou encore par l’habilitation familiale, affirmant ainsi la suprématie des mesures non judiciaires (loi art. 29 ; c. civ. art. 428 modifié).

Création d’une passerelle entre les mesures de protection judiciaire et l’habilitation familiale :

À compter du 25 mars 2019, il est instauré une passerelle entre les mesures de protection judiciaire et l’habilitation familiale qui permet au juge des tutelles de prononcer l’habilitation familiale à l’issue de l’instruction d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire ou lors du renouvellement d’une mesure de curatelle ou de tutelle (loi art. 29 ; c. civ. art. 494-3, al. 2 nouveau).

Inversement, si l’habilitation familiale sollicitée ne permet pas d’assurer une protection suffisante, le juge peut ordonner une mesure de curatelle ou de tutelle (loi art. 29 ; c. civ. art. 494-5, al. 2 nouveau).

Jusqu’au 25 mars 2019, le juge des tutelles était tenu par le choix opéré par le requérant lors du dépôt de la demande d’ouverture de mesure de protection. Ainsi, il avait été jugé qu’aucune disposition légale n'autorisait le juge des tutelles, saisi d'une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection judiciaire, à ouvrir une mesure d'habilitation familiale (cass. civ., 1re ch., 20 décembre 2017, n°16-27507). À l’inverse, lorsque le juge saisi d’une demande de curatelle ou de tutelle estimait que les conditions de l’habilitation familiale étaient réunies, l’absence de passerelle obligeait les requérants à se désister de leur demande et à le saisir d’une nouvelle requête, alourdissant fortement les démarches pour les proches de la personne à protéger.

Alignement des cas d’ouverture :

À compter du 25 mars 2019, les cas d’ouverture de l’habilitation familiale sont alignés sur ceux des autres mesures de protection juridique des personnes (loi art. 29 ; c. civ. art. 494-1 modifié).

Ainsi peut bénéficier de l’habilitation familiale « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté » et non plus toute personne hors d’état de manifester sa volonté pour les raisons ci-avant, ce qui était plus restrictif.

Autosaisine par la personne devant faire l’objet de l’habilitation familiale :

En principe, la requête aux fins de désignation d’une personne habilitée est présentée au juge par les proches de la personne à protéger ou par le procureur de la République à la demande d’un des proches (c. civ. art. 494-3).

Par « proches » de la personne à l’égard de qui l’habilitation est sollicitée, il convient d’entendre, ses ascendants ou descendants, frères et sœurs ou, à moins que la communauté de vie ait cessé entre eux, le conjoint, le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité ou le concubin (c. civ. art. 494-1).

À compter du 25 mars 2019, la demande aux fins de désignation d’une personne habilitée peut également être présentée au juge directement par la personne qu’il y a lieu de protéger. Cette dernière pourra également saisir le juge sur les difficultés de mise en œuvre de l’habilitation ou encore en demander la révocation judiciaire sous conditions (loi art. 29 ; c. civ. art. 494-3, 494-10 et 494-11 modifiés).

Élargissement de l’habilitation familiale aux hypothèses d’assistance :

En principe, la personne habilitée représente le majeur incapable pour accomplir un ou plusieurs actes déterminés (habilitation spéciale), ou si l’intérêt de la personne à protéger l’implique, sur l’ensemble des actes (habilitation générale) (c. civ. art. 494-6). Par conséquent, la personne à l’égard de qui l’habilitation a été délivrée ne peut plus conclure l’acte dont l’exercice a été confié à la personne habilitée. Si la personne protégée passe seule cet acte, celui-ci est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice (c. civ. art. 494-9).

À compter du 25 mars 2019, la mesure d’habilitation familiale est élargie aux hypothèses d’assistance dans les conditions prévues à l’article 467 du code civil concernant la curatelle (loi art. 29 ; c. civ. art. 494-1 modifié). En pratique, si le juge estime l’assistance suffisante pour la personne à protéger, celle-ci pourra accomplir seule les actes conservatoires ou d’administration mais devra être assistée par la personne habilitée pour les actes de disposition (vente d’un bien immobilier, souscription ou rachat d’un contrat d’assurance-vie,,…).

L'assistance de la personne habilitée se manifeste par l'apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée. Si la personne à l’égard de qui l’habilitation a été délivrée accomplit seule un acte dont l’accomplissement nécessitait une assistance de la personne habilitée, l’acte ne peut être annulé que s’il est établi que la personne protégée a subi un préjudice (c. civ. art. 494-9 modifié).

Élargissement de l’habilitation familiale au présumé absent :

En principe, les règles qui gouvernent la représentation du présumé absent sont celles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille. Toutefois, à compter du 25 mars 2019, à titre exceptionnel et sur décision expresse du juge, le présumé absent peut être représenté selon les règles de l’habilitation familiale par un proche (loi art. 9 ; c. civ. art. 113 modifié).

Alléger le contrôle du juge sur certains actes de gestion

Actes de nature patrimoniale :

À compter du 25 mars 2019, la personne chargée de la mesure de protection pourra accomplir seule certains actes de gestion patrimoniale qui nécessitaient auparavant un contrôle a priori du juge.

Suppression de l’autorisation préalable pour les actes de gestion des comptes bancaires :

Le tuteur ou le curateur ne peut pas procéder à la clôture des comptes ou livrets ouverts, avant le prononcé de la mesure, au nom de la personne protégée. Il ne peut pas non plus procéder à l'ouverture d'un autre compte ou livret auprès d'un nouvel établissement bancaire, sauf autorisation préalable (alors que cette possibilité est prévue sans autorisation dans le cadre de l’habilitation familiale).

En revanche, à compter du 25 mars 2019, la personne chargée de la mesure de protection peut procéder à la clôture des comptes ou livrets ouverts à compter du prononcé de celle-ci ainsi qu’à l’ouverture d’un compte bancaire ou livret dans la banque habituelle de la personne protégée, sans autorisation préalable du juge (loi art. 9 ; c. civ. art. 427 modifié).

Une fois déterminées les sommes annuellement nécessaires à l'entretien de la personne protégée et au remboursement des frais d'administration de ses biens, le tuteur peut inclure dans les frais de gestion la rémunération des administrateurs particuliers dont il demande le concours, sous sa propre responsabilité (loi art. 9 ; c. civ. art. 500 modifié). Le tuteur peut également conclure un contrat avec un tiers pour la gestion des valeurs mobilières et instruments financiers de la personne protégée.

Par ailleurs, si le conseil de famille ou, à défaut, le juge, détermine la somme à partir de laquelle commence pour le tuteur, l’obligation d’employer les capitaux liquides et l’excédent des revenus, à compter du 25 mars 2019, ce dernier peut, sans autorisation, placer des fonds sur un compte (loi art. 9 ; c. civ. art. 501 modifié).

Enfin, le tuteur peut souscrire seul un contrat de convention-obsèques au nom du majeur protégé (loi art. 9 ; c. ass. art. L. 132-3 et L. 132-4-1 modifiés ; c. mutualité art. L. 223-5 modifié).

Suppression de l’autorisation préalable pour l’ouverture des opérations de partage amiable :

À compter du 25 mars 2019, le partage amiable au nom de la personne protégée en matière de succession ou d’indivision peut être effectué sans autorisation préalable du conseil de famille ou, à défaut, du juge des tutelles (loi art. 9 ; c. civ. art. 116, 507 et 836 modifiés). L’autorisation préalable est toutefois maintenue en cas d’opposition d’intérêts entre la personne protégée et son représentant.

Dans tous les cas, l’état liquidatif demeure soumis à l’approbation du conseil de famille ou, à défaut, du juge.

Suppression de l’autorisation préalable pour l’acceptation d’une succession bénéficiaire :

Si le tuteur peut accepter une succession échue à la personne protégée à concurrence de l’actif net, il ne pouvait accepter la succession purement et simplement que sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge, à condition que l’actif dépasse manifestement le passif.

À compter du 25 mars 2019, le tuteur peut accepter purement et simplement la succession du majeur protégé après recueil d'une attestation du notaire chargé du règlement faisant état d’une succession bénéficiaire, sans autorisation préalable (loi art. 9 ; c. civ. art. 507-1 modifié).

Suppression de l’autorisation préalable pour l’accès aux soins :

La personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet. Lorsque son état ne lui permet pas, la personne chargée d’une habilitation familiale, le curateur ou le tuteur peuvent représenter le majeur protégé, y compris, à compter du 25 mars 2019, pour les actes ayant pour effet de porter gravement atteinte à son intégrité corporelle, sans autorisation du juge (loi art. 9 ; c. civ. art. 459 modifié). Par exemple, il ne sera plus nécessaire de demander une autorisation lorsque le majeur, le tuteur et le médecin seront d’accord sur le principe d’une intervention chirurgicale.

En revanche, sauf urgence, l’autorisation du juge reste requise en cas de désaccord entre le majeur protégé et la personne chargée de sa protection ou pour toute décision ayant pour effet de porter gravement atteinte à l’intimité de la vie privée de la personne protégée.

Favoriser l’exercice des droits personnels des majeurs protégés

Consacrer l’autonomie du majeur protégé dans le choix de son conjoint ou de son partenaire pacsé :

À compter du 25 mars 2019 (loi art. 10 ; c. civ. art. 460 et 462 modifiés) :

-le mariage par un majeur en curatelle ne nécessite plus l’autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge ;

-le mariage ou la conclusion d’un Pacs par un majeur en tutelle n’est plus soumis à autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué.

La personne chargée de la mesure de protection doit cependant être préalablement informée du projet de mariage du majeur qu’il assiste ou représente. À cet effet, le dossier de mariage déposé en mairie doit contenir la justification de l’information de la personne chargée de la protection (loi art. 10 ; c. civ. art. 63 modifié).

L’article 1399 du code civil est modifié pour permettre à la personne chargée de la mesure de protection d’être autorisée à conclure seule une convention matrimoniale pour préserver les intérêts du majeur protégé.

S’il estime le projet non conforme aux intérêts de la personne protégée, le tuteur ou le curateur peut former opposition au mariage de la personne qu’il assiste ou représente (loi art. 10 ; c. civ. art. 175 modifié).

Par ailleurs, en cas de conclusion d’un Pacs, le tuteur assiste le majeur protégé lors de la signature de la convention (loi art. 10 ; c. civ. art. 462 modifié).

Par effet de symétrie, le majeur protégé peut accepter seul le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci, même si dans l’instance en divorce, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et le majeur en curatelle exerce l’action lui-même avec l’assistance de son curateur (loi art. 10 ; c. civ. art. 249 modifié).

Restituer le droit de vote aux majeurs en tutelle :

La loi abroge de façon immédiate l’article L. 5 du code électoral qui interdisait aux majeurs placés sous tutelle d’être inscrits sur les listes électorales à moins d’avoir été autorisés à voter par le juge des tutelles (loi art. 10 ; c. électoral art. L. 5 abrogé).

La restitution du droit de vote aux majeurs sous tutelle s’applique aux personnes qui bénéficient d’une mesure de tutelle au 25 mars 2019 ainsi qu’aux instances en cours à cette même date (loi art. 109, IV).

L’exercice effectif de ce droit de vote suppose l’inscription sur la liste électorale de la commune de son lieu de résidence. Une fois cette inscription réalisée, la personne en tutelle pourra voter elle-même ou donner procuration à la personne de son choix, à l’exception des mandataires judiciaires à sa protection, des employés ou bénévoles intervenant dans les services ou structures d’accueil ou d’hébergement, les services d’aide à domicile (loi art. 11 ; c. électoral art. L. 72-1 modifié).

Améliorer le contrôle des comptes de gestion établis par le mandataire

Inventaire et compte de gestion :

Quelle que soit la mesure de protection, le mandataire chargé de l’administration des biens de la personne protégée fait procéder à leur inventaire lors de l’ouverture de la mesure et l’actualise au cours du mandat. Par ailleurs, il établit annuellement le compte de sa gestion que le juge peut en tout état de cause faire vérifier (c. civ. art. 486).

À compter du 25 mars 2019, tant l’obligation de remise d’un inventaire que les modalités de contrôle du compte de gestion sont modifiées (loi art. 30).

Obligation de remise d’un inventaire par le tuteur et intervention de professionnels si besoin :

L’inventaire obligatoire des biens de la personne protégée établi lors de l’ouverture de la mesure de tutelle doit être transmis au juge dans les 3 mois de l’ouverture de la tutelle pour les biens meubles corporels, et dans les 6 mois pour les autres biens, avec le budget prévisionnel (loi art. 30 ; c. civ. art. 503 modifié). Cette obligation s’applique à compter du 25 mars 2019 aux mesures de protection ouvertes antérieurement (loi art. 109, X).

Jusqu’au 24 mars 2019, l’inventaire devait être effectué dans les 3 mois de l’ouverture de la tutelle quelle que soit la nature des biens de la personne protégée puis transmis au juge.

Enfin, si le juge l’estime nécessaire, il peut désigner dès l’ouverture de la mesure un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice ou un notaire pour procéder, aux frais de la personne protégée, à l'inventaire des biens meubles corporels, dans le délai de 3 mois. En cas de retard dans la transmission de l'inventaire, le juge peut désigner un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un mandataire judiciaire à la protection des majeurs pour y procéder aux frais du tuteur.

Nouveau dispositif de contrôle des comptes de gestion :

Par suite de la réécriture des articles 511 et 512 du code civil, il convient désormais de distinguer selon que le contrôle des comptes de gestion concerne un mineur ou un majeur.

Pour les comptes de gestion relatifs aux mineurs établis à compter du 25 mars 2019, le contrôle continue d’être effectué par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal de grande instance avec possibilité pour le juge de confier cette mission au subrogé tuteur. Toutefois si les ressources du mineur le permettent et si l’importance et la composition de son patrimoine le justifient, le juge peut décider que la mission de vérification et d’approbation sera exercée, aux frais du mineur et selon les modalités qu’il fixe, par un professionnel qualifié (loi art. 30 ; c. civ. art. 511 modifié).

Pour les comptes de gestion relatifs aux majeurs établis à compter du 25 mars 2019, le contrôle est confié non plus au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d’instance, mais au subrogé tuteur lorsqu’il en a été nommé un ou au conseil de famille (loi art. 30 ; c. civ. art. 512 nouveau).

En l’absence de désignation de ces personnes ou encore lorsque l'importance et la composition du patrimoine de la personne protégée le justifient, le juge désigne, dès réception de l'inventaire du budget prévisionnel, un professionnel qualifié chargé de la vérification et de l'approbation des comptes dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État et au plus tard le 31 décembre 2023 (loi art. 109, X).

À l’issue de la vérification du compte de gestion, un exemplaire est versé au dossier du tribunal par la personne chargée du contrôle. En cas de refus d’approbation des comptes, le juge est saisi (loi art. 30 ; c. civ. art. 513-1).

Enfin, des cas de dispense de contrôle des comptes de gestion sont prévus en considération de la modicité des revenus ou du patrimoine de la personne protégée ou encore lorsque la tutelle n’a pas été confiée à un mandataire judiciaire (loi art. 30 ; c. civ. art. 513 modifié).

loi 2019-222 du 23 mars 2019, JO du 24, art. 9, 10, 11, 29, 30

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